Analyse - Assemblée nationale

Le 12 Septembre 2022

Par Théo Delemazure

Les 12 et 19 juin derniers ont eu lieu les élections législatives en France, durant lesquelles les citoyens et citoyennes français ont pu choisir les 577 nouveaux députés de la République. La première session de cette XVIe législature de l'Assemblée nationale s'est tenue cet été du 6 juillet au 4 août.

Cette élection est notamment marquée par le tripartisme qui compose désormais l'assemblée : à gauche, les écologistes-socialistes de l'inter-groupes NUPES, au centre, les libéraux de la majorité présidentielle, et à droite les identitaires du RN, avec entre ces deux derniers groupes les députés des Républicains. L'assemblée est extrêmement morcelée et aucun mouvement politique n'a obtenu la majorité absolue des sièges à l'issue de l'élection, même la majorité relative du gouvernement n'est pas absolue (c'est-à-dire que c'est le plus gros groupe de l'assemblée, mais il possède moins de la moitié des sièges). De ce fait, le gouvernement doit beaucoup plus collaborer avec les autres groupes pour faire passer ses lois, et les résultats des votes sont plus inattendus que pendant les précédentes législatures. Cet été par exemple, de nombreux amendements de l'opposition ont été adoptés malgré les avis défavorables du gouvernement, comme par exemple sur le texte relatif à la crise du COVID.

C'est peut-être ce côté plus imprévisible qui fait que les débats de cet été ont été particulièrement suivis, comme le rapporte cet article du Figaro. Cela est peut-être également dû au fait que les débats sont beaucoup plus agités qu'auparavant, vu le niveau de tension politique qui règne actuellement dans le pays entre les principaux blocs.

L'avantage, c'est que ça fait du spectacle pour ceux qui suivent les débats, qui ressemblent parfois plus à des pièces de théâtre que de réels débats politiques. Cet aspect théâtral ressort encore plus lorsqu'on lit les comptes-rendus des débats sur le site de l'Assemblée nationale ou sur nosdeputes.fr. Il semble d'ailleurs que cet aspect vivant des comptes-rendus soit recherché par leurs créateurs, et il faut notamment saluer le travail remarquable de la direction des comptes-rendus de l'Assemblée nationale.

En plus de faire un travail remarquable, toutes les données de comptes-rendus sont accessibles en libre accès sur le site de l'Assemblée. C'est notamment ce qui m'a inspiré à télécharger les données des comptes-rendus pour les présenter sous forme de pièce de théâtre sur mon site theatrebourbon.delemazure.fr et de créer un compte Twitter @OutOfContext_AN qui publie un best-of des répliques de députés.

A partir de ces données brutes, les possibilités d'analyse des débats sont presque illimitées. Je vous propose donc de les explorer ensemble dans une série d'articles. Dans ce premier article, je vais me concentrer sur ce que contiennent vraiment ces pièces de théâtre ces débats : le vocabulaire utilisé, et les comportements des députés. Notamment, on va se poser les questions suivantes : quel vocabulaire est propre à chaque groupe ? Quel est le degré de similarité de vocabulaire entre les différents groupes ? Quels sont les comportements (applaudissement, protestations, claquements de pupitres, etc.) des différents groupes les uns envers les autres ? Qui applaudit qui ? Qui applaudit avec qui ?

Rappels sur l'Assemblée nationale

Dans cet article, je vais seulement utiliser les comptes-rendus de la session extraordinaire 2022 de l'Assemblée, qui s'est tenue du 6 juillet au 4 août 2022. Pendant cette session ont été éxaminés différents projets de loi importants, comme le projet de loi de finances rectificatives pour 2022, le projet de loi maintenant provisoirement un dispositif de veille et de sécurité sanitaire en matière de lutte contre la Covid-19 et le projet de loi relatif aux mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat. Pendant l'examen d'un projet de loi, les députés peuvent proposer et défendre des amendements, c'est-à-dire des modifications du texte de loi. Ces amendements sont débattus puis votés. Une fois les modifications finalisées, le texte est voté dans son ensemble. C'est les discours de ces débats que nous allons utiliser dans cet article.

Nous avons donc pu assister à des débats, souvent enflammés, entre les 577 députés de l'Assemblée nationale. Ceux-ci sont divisés en 9 groupes politiques, auxquels il faut ajouter les députés non inscrits. Les différents groupes sont les suivants (affichés selon leurs positions dans l'hémicycle).

Dans les débats, certains députés ont des "rôles" particuliers. Le plus important est bien sûr celui de président de séance. Le président ou la présidente de séance veille au bon déroulement de la séance publique, et joue le rôle d'arbitre lorsqu'il faut donner la parole aux intervenants, en s'appuyant bien évidemment sur le règlement de l'Assemblée nationale. Le président ou la présidente de séance ne prend pas part aux votes, et est censé être impartial. Enfin, le rôle de président de séance peut-être joué par la présidente de l'Assemblée, actuellement la députée Renaissance, Mme Yaël Braun-Pivet, ou par l'un des six vice-présidents.

Le deuxième rôle important lors des débats sur un projet de loi est celui de rapporteur. Le rapporteur est un député nommé par la commission en charge du projet de loi (par exemple, la commission des finances pour un projet de loi de finances), qui est chargé d'éclairer ses travaux en présentant un rapport sur le texte proposé et, le cas échéant, d'élaborer les amendements qu'il juge nécessaires. Il est en quelque sorte le député référent sur ce projet de loi, et donne son avis sur les amendements de ses collègues. Sur tous les projets de loi de cet été, les rapporteurs étaient des députés de la majorité.

Ces deux rôles ayant un vocabulaire particulier attaché à leur fonction, j'ai décidé de ne pas les prendre en compte pour élaborer le vocabulaire représentatif d'un groupe, mais plutôt de les considérer comme des groupes à part, avec leur propre vocabulaire.

Enfin, les députés ne sont pas les seuls acteurs qui prennent part aux débats de l'Assemblée, puisqu'il y a aussi le gouvernement. En effet, le gouvernement intervient régulièrement dans l'hémicycle. Tout d'abord, lors des questions au gouvernement, les députés peuvent poser des questions au différents membres du gouvernement, c'est-à-dire les ministres, ou bien les ministres délégués. Il s'agit souvent de questions d'actualité, comme vous pouvez le voir dans cet exemple datant du 12 juillet. De plus, lors de l'examen d'un projet de loi est présent au moins un membre du gouvernement pour donner son avis sur les amendements des députés, et répondre à leurs remarques. Par exemple, Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, a passé beaucoup de temps à l'Assemblée cet été, pour l'examen des projets de loi liés au pouvoir d'achat et le projet de loi de finances rectificatives.

Pour ces raisons, j'ai également considéré les membres du gouvernement comme un groupe à part, avec son propre vocabulaire. Maintenant que les présentations sont faites, il est temps de regarder de plus près quel est le vocabulaire des différents groupes de l'Assemblée.

Le vocabulaire

Au cours des 34 séances publiques de cette session extraordinaire, 979 235 mots ont été prononcés au total, dont 26 161 mots uniques. Mais ce qui nous intéresse, ce n'est pas les mots les plus prononcés dans l'Assemblée, mais plutôt les mots qui vont caracteriser les différents groupes politiques. A priori, on s'attendrait à ce que la majorité présidentielle parle d'Europe, les écologistes d'écologie, LFI de pouvoir d'achat, le RN d'immigration et LR de cravates. Les nuages de mots ci-dessous montrent les vocabulaires caractéristiques de chaque groupe.

Vocabulaire par groupes

Pour obtenir le vocabulaire propre à chaque groupe, on ne va pas simplement regarder les mots les plus prononcés, puisqu'on aurait probablement des mots inintéressants. Il faut aller un peu plus loin, et si on veut représenter un groupe politique, il faut choisir les mots qui sont en moyenne plus prononcés par ce groupe que par les autres. Par exemple, le groupe écologiste à probablement prononcé "amendement" plus souvent que "climat", mais tous les groupes parlent d'amendements, alors que peu d'entre eux évoquent le sujet du climat. Il est donc plus intéressant de faire apparaître ce dernier dans leur vocabulaire représentatif.

Les nuages de mots

Ci-dessous, vous pouvez voir les nuages de mots des différents groupes ainsi que ceux du gouvernement, des présidents de l'Assemblée, et des rapporteurs. Vous pouvez cliquer sur les boutons ci-dessous pour afficher les différents nuages de mots.

Je tiens d'abord à préciser que les nuages de mots présentés ci-dessus sont à prendre avec précaution, il est très probable qu'une autre formule que celle utilisée donnerait un différent nuage de mots. Au passage, si un député présent lors de la session extraordinaire veut voir son nuage de mot personnel, il peut me faire signe sur Twitter. Analysons maintenant les nuages de mots obtenus.

Commençons par celui des présidents, et celui des rapporteurs. On retrouve sans surprise le vocabulaire propre à leur rôle dans l'hémicycle. Le président étant celui qui donne la parole et vérifie le bon déroulement des débats et des scrutins, on voit notamment apparaître ce vocabulaire. On voit également beaucoup de noms de députés qui ressortent, puisque le président est celui qui accorde la parole. Quant aux rapporteurs, on voit logiquement ressortir le mot "défavorable" puisque leur rôle principal est d'émettre des avis sur les amendements des députés, et cet avis est très souvent défavorable.

Observons maintenant les nuages de mots des groupes qui forment la majorité présidentielle : Renaissance, les Démocrates et Horizons. L'Europe semble être au centre de leurs préoccupations, en particulier pour le groupe Renaissance. On trouve notamment du vocabulaire lié à la guerre ayant lieu actuellement en Ukraine.

Quatre groupes forment la "Nouvelle Alliance Populaire Écologique et Sociale (NUPES)" au sein de l'Assemblée. Il s'agit de La France Insoumise, des Écologistes, des Socialistes, et de la Gauche Démocrate et Républicaine. Au-delà de cette alliance, chaque groupe a ses propres préoccupations, et cela est très apparent sur les nuages de mots obtenus. La France Insoumise parle beaucoup de salaire et du vocabulaire lié aux profits, les Ecologistes parlent évidemment d'écologie et de climat, le groupe GDR parle des classes populaires, et les Socialistes utilisent un vocabulaire plutôt lié à l'examen des lois en lui-même.

Sans surprise, on retrouve dans le nuage de mots du Rassemblement National le vocabulaire lié à l'immigration, seulement devancé par le mot "Marine". Ils font également partie de ceux qui parlent le plus d'Emmanuel Macron.

Le nuage de mots du groupe des Républicains couvre un grand nombre de sujets, mais on retrouve de manière intéressante le mot "Hollande" parmi les mots les plus importants.

Le nuage de mots du groupe Liberté et Territoires est en fait presque celui du député Charles de Courson, qui est à l'origine de 43% des mots prononcés par ce groupe. On note tout de même un vocabulaire lié aux spécificités territoriales, notamment celles des territoires d'outre-mer.

Enfin, les députés non inscrits ne forment pas un groupe homogène, donc on peut conclure peu de chose à partir de leur nuage de mot. On retrouve notamment le vocabulaire lié à la vaccination, ce qui n'est pas surprenant étant donné que la députée Emmanuelle Ménard et le député Nicolas Dupont-Aignant (dont la lutte contre la vaccination obligatoire était la mesure principale de son programme à la présidentielle) représentent plus de 80% des mots prononcés par ce groupe.

Détails mathématiques

Dans les paragraphes qui suivent, j'explique les calculs mathématiques cachés derrière ces nuages de mots. C'est un peu plus technique, même si c'est fait pour être compréhensible pour le plus grand nombre, donc vous pouvez passer directement à l'analyse des similarités de vocabulaire entre les groupes.

Pour choisir les mots qui représentent le plus un groupe, l'idée est pour un groupe donné, d'associer chaque mot à un score, et de choisir les mots qui reçoivent le meilleur score. Pour ça, j'ai voulu m'inspirer de la méthode TF-IDF, qui permet d'évaluer l'importance relative d'un mot dans un document faisant partie d'un large ensemble de documents. On imagine ici qu'un document contient tous les discours des députés qui le composent. On a donc un document pour chaque groupe (plus ceux du gouvernement, du rapporteur et du président). Enfin, on évalue l'importance d'un mot pour un groupe avec la formule suivante :

La première partie de la formule, sur fond jaune, est la partie "TF" pour Term Frequency (fréquence du mot) et donne plus d'importance à un mot s'il apparaît souvent dans le document. La deuxième partie, sur fond vert, est plus intéressante. Il s'agit de "IDF" pour Inverse Document Frequency (fréquence inverse parmi les documents), qui donne plus d'importance à un mot du document s'il apparaît moins souvent ailleurs. Par exemple, sa valeur sera très importante pour un mot qui apparaît seulement dans ce document, et beaucoup moins si tous les documents contiennent ce mot.

Malheureusement, cette formule n'est pas très satisfaisante dans notre cas. Tout d'abord, la première partie donne trop d'importance aux mots inintéressants mais qui apparaissent souvent, comme "un" ou "le". Il faut donc réduire son importance, en la passant au logarithme par exemple. Deuxièmement, beaucoup de mots intéressants apparaissent dans tous les documents, et auront donc un score de 0 pour tout le monde. En fait, cette formule mesure seulement si le mot est utilisé par un autre groupe, mais pas si les autres groupes l'utilisent plus ou moins. Par exemple, si tous les groupes ont utilisé le mot "climat" une seule fois, sauf les écologistes qui l'ont utilisé une vingtaine de fois, ce mot aura quand même un score de 0, car il apparaît dans chaque groupe.

J'ai donc utilisé la formule suivante, dans laquelle \( n^{\textcolor{blue}{groupe}}_{\textcolor{red}{mot}}\) représente le nombre d'occurrences de \(\textcolor{red}{mot}\) dans un \(\textcolor{blue}{groupe}\), \(f^{\textcolor{blue}{groupe}}_{\textcolor{red}{mot}}\) la fréquence d'apparition de ce mot dans le groupe \(f^{total}_{\textcolor{red}{mot}}\) est la fréquence d'apparition au total), et enfin \(l_{\textcolor{red}{mot}}\) est la longueur du mot.

Cette formule est un produit de trois facteurs. Le premier (sur fond jaune) augmente le score d'un mot s'il est beaucoup utilisé par le groupe, mais son importance est réduite par l'utilisation de la fonction logarithme. Le second facteur (sur fond vert), donne plus d'importance à un mot s'il est plus fréquemment utilisé par le groupe que par la moyenne des députés. Enfin, le dernier facteur (sur fond bleu), permet de filtrer les mots très courts (moins de 5 lettres) en augmentant légèrement le score des mots longs.

Enfin, notons que ne sont pris en compte que les mots qui ont été prononcés au moins 10 fois par le groupe au cours de la session extraordinaire.

Similarités entre groupes

Nous venons de voir qu'il est possible de récupérer le vocabulaire représentatif des différents groupes. On peut alors naturellement se demander quel est le degré de similarité de vocabulaire entre les différents groupes.

Il existe de nombreuses analyses de proximité des différents groupes de la scène politique. Par exemple, à partir de leurs votes. J'avais notamment fait un article sur les votes de la précédente législature. Il y aussi ce tweet de @benoit_ribon pour les votes de cette session extraordinaire, analyse qui se trouve aussi sur datan.fr. On peut aussi regarder la proximité des groupes selon leur base d'électeurs (exemple de mise en pratique). Ici, je vous propose une analyse de la proximité basée sur le vocabulaire utilisé dans les débats.

Bien évidemment et plus que n'importe quelle analyse de cet article, les matrices de similarité qui vont suivre ne sont pas des vérités générales, et elles dépendent grandement des calculs utilisés pour obtenir les taux de similarité. On observe tout de même que la majorité et l'opposition n'emploient pas le même vocabulaire, et que les groupes proches idéologiquement utilisent des vocabulaires assez proches. La principale surprise est la proximité plutôt élevée entre LFI et le RN. En analysant de plus près le vocabulaire qu'ils ont en commun (voir plus bas), il s'agit essentiellement de protestations envers la majorité.

Puisqu'il existe une infinité de manières de calculer les similarités, j'en propose ici quatre, qui donnent des résultats pas toujours identiques. Une explication de chaque méthode est proposée dans l'encadré jaune ci-dessous. Pour chaque méthode, on ne s'intéresse qu'aux mots prononcés plus de 25 fois au total, ce qui correspond à 3200 mots sur 27000. On note cet ensemble de mots \( W \).

Enfin, pour comprendre un peu mieux les raisons des proximités entre différents groupes, l'outil ci-dessous vous permet de voir pour chaque paire de groupes, les 5 mots qui rapprochent le plus ces deux groupes.

Les comportements

Une des raisons pour lesquelles les comptes-rendus sont particulièrement vivants et ressemblent à des pièces de théâtre, ce sont ce que l'on pourrait appeler les didascalies. Dans une pièce de théâtre ou un scénario de cinéma, une didascalie est une indication de jeu, qui décrit la mise en scène, comme le mouvement des personnages, ou des réactions non verbales.

On trouve de plus en plus de didascalies de la sorte dans les comptes-rendus de l'Assemblée, qui décrivent généralement les réactions des députés à certains discours, et soulignent parfois des gestes surprenant de certains députés. Les 5922 didascalies de cette session se divisent en trois catégories: les descriptions de séance (23%), les comportements de groupes (73%), et les comportements individuels de députés (4%).

Les descriptions de séance sont typiquement des remarques sur le déroulement général du débat, comme "La séance est levée" ou "L'amendement est adopté", ou bien une remarque sur l'ambiance générale qui règne dans l'hemicycle. Par exemple, on retrouve souvent "Sourires." après une blague, "Brouhaha." quand des députés font du grabuge, et parfois même "Le brouhaha couvre la voix de l'orateur." Ces didascalies ne nous intéressent pas tellement pour le moment, car elles ne nous indiquent pas grand-chose sur les différents groupes.

Heureusement, de nombreuses didascalies font référence aux groupes parlementaires. Cela concerne 73% des didascalies. Il s'agit généralement de didascalies de la forme "Applaudissements sur les bancs des groupes Renaissance et Socialistes et apparentés" avec seulement l'action effectuée et le noms des groupes qui varient. Avec ces didascalies, nous allons pouvoir mettre en avant qui applaudit qui, et qui applaudit avec qui pendant les débats.

Enfin, la dernière catégorie de didascalie est celle d'un comportement de député. Il s'agit généralement de didascalies de la même forme que celles de la catégorie précédente (Applaudissement, huées, sourires), mais lorsqu'un tout petit nombre de députés l'effectuent. On trouve cependant parfois des comportements de députés assez atypiques dans ces didascalies, et je vous ai préparé un petit best-of de la session extraordinaire de cet été. (Vous pouvez cliquer sur une citation pour retrouver son contexte original.)

Comportements des groupes

Je me suis donc concentré sur les didascalies liées aux comportements des groupes. En utilisant une expression régulière (RegExp) qui soit assez moche pour recouvrir le plus de cas possible, j'ai pu donc extraire pour la grande majorité des didascalies de ce type l'action effectuée et les groupes qui l'effectuent.

Je me suis concentré sur les 11 principaux comportements observés dans l'hémicycle. Les plus fréquents sont les applaudissements, avec 3414 occurrences lors de la session extraordinaire. Viennent ensuite les protestations et exclamations lorsqu'un groupe se sent indigné par ce que vient de dire un orateur, avec respectivement 592 et 298 occurrences. Enfin, les autres comportements sont plus rares, avec chacun moins de 100 occurrences au total. La figure suivante résume le nombre d'occurence de chaque comportement. Vous pouvez également afficher la figure du nombre de comportements de chaque type pour tous les groupes en cliquant sur leurs noms ci-dessous.

La figure ci-dessus est intéressante, car elle montre les habitudes des groupes, mais elle ne permet pas de les comparer. Par exemple, quel groupe proteste le plus ? Quel groupe est le plus adepte des célèbres claquements de pupitres de l'Assemblée nationale ? La figure suivante permet de comparer les groupes pour chaque type de comportement.

Notons avant tout que ces résultats peuvent être imparfaits, et biaisés, notamment par la façon dont sont faits les comptes-rendus, qui n'est pas quelque chose de facile, et certaines réactions peuvent échapper à la direction des comptes-rendus. L'analyse que je présente ci-dessous est donc à prendre avec des pincettes.

On remarque tout d'abord que les groupes qui apparaissent le plus sont les 3 groupes avec le plus de députés : Renaissance, LFI et le RN. À l'inverse, le groupe Liberté et Territoires (LIOT) semble très peu actif sur ces graphiques. Cela peut sembler logique : un groupe qui a plus de députés réagit plus. Pourtant, les comportements sont liés aux groupes, peu importe leur taille, et un groupe n'a pas besoin d'avoir 60 députés pour applaudir ou protester. Il y a donc probablement plusieurs raisons plus complexes pour expliquer ce résultat. Une raison très probable est par exemple qu'il est plus facile de remarquer un groupe de 70 personnes qui proteste qu'un groupe de 15 personnes, en particulier lorsque ce groupe n'est pas homogène, et éparpillé dans l'hémicycle comme le groupe Liberté et Territoires.

Ensuite, on remarque que les commentaires positifs sont le plus souvent exprimés par les groupes de La France Insoumise, Renaissance, et par les Démocrates. Les Républicains semblent quant à eux peu enclins aux applaudissements. Pour ce qui est des sourires, les bancs des députés de la majorité sont en tête, mais ils se font doubler par La France Insoumise lorsqu'il s'agit de rire. Ces derniers sont également largement devant pour s'exclamer ou protester. En revanche, ils sont moins enclins aux huées et claquements de pupitres, qui sont la spécialité du Rassemblement National.

Comportements entre groupes

Grâce à ces différentes réactions, on peut aussi analyser les interactions entre les différents groupes qui composent notre Assemblée. La première chose que l'on peut regarder est tout simplement : qui applaudit qui ? On regarde pour cela qui est l'orateur au moment de l'applaudissement. Sans surprise, les groupes applaudissent le plus souvent les orateurs qui sont membres de leur propre groupe. On observe également très distinctement les alliances comme celle des groupes de la NUPES, et celle de la majorité présidentielle, qui applaudissent également très souvent les membres du gouvernement, et dans une moindre mesure mais de façon surprenante les députés LR. Enfin, les membres RN semblent être les seuls à oser s'applaudir (avec certains députés non-inscrits).

Pour ce qui est des protestations et exclamations contre l'orateur, on observe l'effet inverse. Encore une fois, on constate peu de protestations au sein même des alliances. Globalement, tout le monde (sauf les députés de la majorité) proteste régulièrement contre le gouvernement ou les députés de la majorité. De même, les orateurs de La France Insoumise génèrent beaucoup de protestations sur tous les bancs qui ne sont pas de la NUPES. Notons tout de même que le RN est le seul groupe qui a réussi à obtenir une protestation du groupe Liberté et Territoires (en tout cas d'après les comptes-rendus). La figure suivante présente ces résultats en détails. Notons que le gouvernement n'est présent qu'en tant qu'orateur sur cette figure, puisqu'il est très rare qu'il soit noté dans le compte-rendu que les membres du gouvernement applaudissent.

La figure précédente montre le nombre d'applaudissements et de protestations des groupes les uns envers les autres. Même si elle donne une bonne idée des alliances politiques, cela ne nous donne pas une image complète des proximités entre les groupes, puisque le jeu politique oblige à faire attention à qui on applaudit. Mais on peut aussi regarder la matrice de co-applaudissement, c'est-à-dire : qui applaudit en même temps que qui ? Cela inclut naturellement plus de données puisque dans la figure précédente, seuls les applaudissements d'orateurs étaient pris en compte. Ici, on prend aussi en compte les nombreux cas où les députés applaudissent ou protestent contre l'adoption (ou le rejet) d'un amendement.

Cette fois encore, on distingue bien les deux alliances de l'Assemblée, qui applaudissent et protestent souvent ensemble. De façon plus surprenante, alors qu'on a vu qu'aucun groupe n'applaudissait les orateurs du Rassemblement National, quasiment tous applaudissent et protestent régulièrement en même temps qu'eux. En particulier le groupe Les Républicains, qui est celui qui proteste et applaudit le plus avec le RN (suivi par LFI). Les députés LR applaudissent et protestent fréquemment en compagnie des députés de la majorité, mais quasiment jamais avec la NUPES. La figure suivante présente les matrices de co-applaudissement et co-protestations en détails.

À suivre...

Il reste encore beaucoup de choses à dire et à analyser sur ces données des débats parlementaires, il est donc très probable que d'autres articles sur le même thème arrivent bientôt ! En attendant, je recommande les sites datan.fr et nosdeputes.fr qui présentent des analyses de données intéressantes sur les débats de l'Assemblée. Vous pouvez également suivre l'actualité parlementaire avec le projet Acardie.

@DelemazureTheo