La vote par approbation pour la primaire de la gauche

Le 30 Juin 2025

Ces derniers temps, on entend de plus en plus parler de l'élection présidentielle de 2027. C'est le moment pour les candidats à ce poste de se déclarer officiellement et de se lancer dans la « course de petits chevaux ». Que ce soit à droite ou à gauche, les ambitions de chacun commencent à se faire sentir.

Du côté gauche du spectre politique, des appels ont été lancés (notamment par Lucie Castets) pour rassembler la gauche autour d'une candidature unique. Pour décider de cette candidature unique, certains proposent une primaire (notamment François Ruffin, l'Après, ou encore les écologistes). Une idée qui n'a pas l'air de séduire tout le monde. En particulier, les membres de La France Insoumise revendiquent leur droit à présenter un candidat à l'élection présidentielle, puisque c'est le parti de gauche avec les meilleurs résultats aux dernières élections. On pourrait également parler de Raphaël Glucksmann, qui semble vouloir faire cavalier seul avec son parti Place . Cela dit, Glucksmann ne pourrait de toute manière pas être le candidat de la gauche de rupture, puisqu'il ne se revendique pas du programme du Nouveau Front Populaire.

Ce qui est clair, c'est qu'avec le mode de scrutin de la présidentielle (le scrutin uninominal majoritaire à deux tours), moins il y a de candidats de gauche au premier tour, plus les chances pour la gauche d'arriver au second tour sont élevées. Il faut donc limiter le plus possible le nombre de candidatures de gauche. Pour s'accorder sur une candidature unique autour de la gauche de rupture, plusieurs chemins sont possibles, et une primaire est une possibilité raisonnable. Mais si primaire de la gauche il y a, alors il faut faire les choses correctement. En particulier, il ne faut surtout pas faire « une élection à deux tours, sur le modèle de la présidentielle » comme le propose François Ruffin (ou encore pire : à un seul tour). Mais, ne vous inquiétez pas, je ne vais pas non plus proposer « un truc folklorique pour bac +12 » comme le craint François Ruffin, sûrement en référence au Jugement Majoritaire, utilisé lors de la primaire populaire, en 2022.

Pourquoi il faut éviter un scrutin uninominal majoritaire ?

La raison principale qui pousse à présenter une candidature unique de la gauche, c'est le mode de scrutin de la présidentielle : le scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Un des problèmes principaux de ce mode de scrutin (et il en a beaucoup) est la division des voix entre les candidats proches. En effet, chaque électeur ne pouvant choisir qu'un seul candidat, plus il y a de candidats similaires, plus ils vont devoir se partager des parts d'électorat. Ce phénomène a souvent porté préjudice à la gauche. Un exemple typique est celui de l'élection de 2002, où la gauche n'a pu accéder au second tour puisque les voix étaient divisées entre les 8 candidats de gauche et d'extrême gauche.

Vote 2002

Cette division des voix a plusieurs conséquences néfastes. Du côté de l'électeur, il faut choisir entre voter pour son candidat favori, au risque d'empêcher la gauche toute entière d'arriver au second tour, et voter « utile » pour un candidat dont on se sent moins proche mais qui a une chance d'accéder au second tour. Ce dilemme provoque alors de la frustration chez les électeurs, qui ne peuvent pas exprimer correctement leurs préférences.

Du côté des candidats, une des principales conséquences est qu'au premier tour, les candidats ne se battent pas contre ceux des camps opposés, mais ils se battent entre candidats du même camp pour savoir qui pourra être leur représentant au second tour. Les candidats ont alors intérêt à attaquer les candidats les plus proches d'eux, puisqu'ils veulent récuperer la même part d'électorat. Ainsi, ce mode de scrutin de par sa conception pousse aux divisions internes et aux attaques entre candidats du même camp. Cette dynamique dégrade non seulement l'image des politiques auprès des électeurs, mais elle nuit aussi à la constitution d'une union large. C'est d'ailleurs ce que l'on a observé pendant la campagne de l'élection Européenne de 2024, pendant laquelle les partis de gauche insistaient sans cesse sur leurs différences et leur désaccords.

Le problème, c'est qu'on ne peut pas simplement demander aux partis en position de défaite de se retirer de la course présidentielle lorsqu'ils sont bas dans les sondages (comme l'a fait Montebourg en 2022). En tant qu'entreprise politique, les partis ont besoin d'exister pour survivre : ils doivent justifier de recevoir le soutien d'une partie de l'électorat pour peser dans les différentes négociations. Et sans candidat aux présidentielles, leur poids politique risquerait de devenir négligeable. À moins qu'il n'existe un accord entre les différents partis préalable à l'élection, en vue d'une candidature unique : j'en reparlerai plus loin.

J'ai présenté quelques arguments contre le scrutin actuel de l'élection présidentielle, mais il en existe de nombreux autres. Il n'est donc pas raisonnable d'utiliser le même système dans le cadre d'une primaire, à moins de vouloir reproduire les nombreux défauts du scrutin présidentiel, et de vouloir absolument une gauche fracturée et divisée à l'issue de la primaire. Heureusement, il existe de nombreuses alternatives à ce mode de scrutin, et certaines d'entre elles associent efficacité et simplicité. C'est le cas du vote par approbation.

Le vote par approbation

Pour rester dans la simplicité, une possibilité serait de simplement permettre aux électeurs qui s'expriment lors de cette primaire de voter pour plusieurs candidats, en utilisant des bulletins d'approbation. L'idée est simple : il faut dire quels candidats on accepte de soutenir parmi l'ensemble qui nous est proposé. Le candidat recevant le plus d'approbation est sélectionné. Et si on tient à faire un second tour, on peut toujours faire un second tour entre les deux candidats ayant reçu le plus de votes (au risque de réintroduire des divisions).

Ainsi, le changement par rapport à notre mode de scrutin est minime. Pourtant, l'effet sur la qualité de la campagne ne le sera probablement pas. En permettant à chacun de s'exprimer sur plusieurs candidats, on élimine le dilemme entre le vote utile et le vote sincère, et on réduit la division des voix entre candidats similaires. Cela permettrait même à plusieurs candidats d'un même parti de se présenter, sans que cela ne fasse perdre des voix aux autres candidats du même parti. Il n'y aurait plus besoin non plus pour les candidats similaires de s'attaquer entre eux pour se démarquer et récupérer des parts d'électorat, puisque les électeurs n'ont plus à trancher entre plusieurs candidats qu'ils apprécient. Cela réduit également l'influence des sondages, qui autrement motivent le vote utile. Enfin, avec ce mode de scrutin, un candidat qui rassemble au-delà de son propre parti a plus de chances d'être choisi qu'un candidat fermé à la discussion et à l'union.

Ce mode de scrutin est déjà utilisé pratique dans certains pays. C'est par exemple utilisé depuis 2021 dans plusieurs grandes villes des États-Unis pour les élections locales (notamment St. Louis, dans le Missouri), où les électeurs sont très majoritairement satisfaits du changement de mode de scrutin d'après des études post-électorale. C'était également le mode de scrutin utilisé pour les conclaves papaux entre le XIVe et le XVIe siècle.

Pourquoi pas d'autre modes de scrutin ?

Certains vont se demander pourquoi le vote par approbation, et pas un autre mode de scrutin alternatif, aux propriétés également intéressantes. Une des raisons qui poussent à les mettre de côté pour le moment, c'est qu'ils sont plus éloignés de nos habitudes (ou, selon les mots de François Ruffin, ce sont des « truc folklorique pour bac +12 »).

En particulier, le jugement majoritaire a suscité de l'intérêt lors de la précédente présidentielle, et c'était d'ailleurs le mode de scrutin de la « primaire populaire », qui fut toutefois infructueuse puisque Christiane Taubira, la gagnante, n'a pas reçu les parrainages nécessaires pour se présenter. Ce mode de scrutin, dans lequel chaque électeur doit donner une appréciation (de type « Passable », « Assez Bien », « Très bien ») à chaque candidat, est intéressant, mais il est loin d'être parfait. De toute façon, un mode de scrutin parfait n'existe (malheureusement) pas. Cela dit, certains modes de scrutins sont mieux adaptés que d'autres dans certains contextes, et il ne me semble pas que ce mode de scrutin soit le plus adapté dans le contexte de l'élection présidentielle, ou pour une primaire de ce type. Je ne vais pas m'étendre sur ce point, mais si vous voulez en discuter, vous pouvez me contacter (par mail, Twitter ou Bluesky).

Il y a également le vote alternatif, qui est le mode de scrutin qui a été utilisé récemment, en Juin 2025, pour la primaire démocrate de New York, que le candidat de gauche radicale Zohran Mamdani a remporté. Dans ce mode de scrutin, les électeurs doivent classer les candidats par ordre de préférences, et si leur candidat favori est éliminé, leur vote se reporte au candidat suivant dans leur classement (voir la page Wikipedia pour des explications plus détaillées). Comme le vote par approbation, ce mode de scrutin réduit les divisions et permet de combiner vote utile et sincère. Ce n'est pas non plus un mode de scrutin bizarre : en plus de New York, il est utilisé dans plusieurs autres états des États-Unis, mais aussi en Irlande, en Australie ou encore en Nouvelle-Zélande.

Un accord programmatique et politique

Pour que la primaire marche, ne nous faisons pas d'illusions : avoir un bon mode de scrutin ne suffira pas, loin de là (même si cela est sûrement nécessaire). En particulier, une des conditions préalable à cette primaire devrait être (selon moi) un accord à la fois programmatique et politique.

Un accord programmatique d'abord, puisque cette primaire ne devrait pas servir à voter pour un programme ou autre, mais à choisir qui incarnera ce programme, puisque c'est essentiellement là-dessus que se joue (malheureusement) l'élection présidentielle. Il n'y a pas besoin de voter sur un programme puisque les électeurs de gauche ont déjà soutenu un programme, celui du Nouveau Front Populaire, qui a permis à la gauche de remporter plus de sièges que ses adversaires aux dernières législatives. Il faut donc un accord entre partis sur un programme de rupture, et ceux qui ne s'y reconnaissent pas ne devraient pas pouvoir se présenter à la primaire (en particulier François Hollande, Bernard Cazeneuve ou encore Raphaël Glucksmann, qui ont renié le programme du NFP).

Deuxièmement, il faut un accord politique. Il faut que les forces politiques présentes à la primaire se mettent d'accord sur un partage des circonscriptions pour les législatives. Sinon, la tentation sera trop grande pour un mouvement de se présenter à l'élection de son côté pour s'assurer de pouvoir peser par la suite à la table des négociations.

Les modalités du vote

Pour le moment, j'ai concentré mes recommandations sur le mode de scrutin, puisque c'est mon domaine d'expertise, mais les modalités du vote sont également un sujet très important, et pour lequel je suis moins qualifié. En particulier, une question importante est de savoir si le vote sera en ligne, ou dans des bureaux de votes physiques. Le premier est plus simple à organiser (et moins coûteux), mais rend difficile la sécurité du vote (comment s'assurer qu'un électeur ne vote pas 50 fois ?). Il est également possible que les électeurs de classes populaires soient moins investis si le vote est en ligne. À l'inverse, les jeunes seront plus nombreux à participer à un vote en ligne.

Pourquoi LFI accepterait de participer à une telle primaire ?

Tout ça, c'est bien beau, mais pourquoi La France Insoumise participerait à cette primaire ? Ils sont déjà en tête à gauche, et ils ont une chance d'arriver au second tour, alors on pourrait croire qu'ils ont tout à perdre à participer à cette primaire. En effet, en l'état actuel des choses, Jean-Luc Mélenchon semble être le seul candidat de gauche radical capable d'arriver au second tour. Malheureusement pour la gauche, c'est aussi celui qui est quasiment sûr de perdre le second tour, même contre Jordan Bardella (même si les sondages ne sont pas toujours fiable, ici l'écart sera difficile à combler).

C'est vrai : en tant qu'entreprise politique, LFI a plutôt intérêt à se présenter de son côté (a priori) afin de peser dans les négociations futures et de garder le leadership de la gauche. Mais pour maximiser les chances de faire gagner la gauche de rupture, alors cela est moins clair : la meilleure stratégie semble être celle de l'union. Les partis pourraient alors simplement se ranger derrière une candidature LFI, mais il est assez clair (et compréhensible) qu'ils refusent : les autres partis aussi veulent exister politiquement.

Ainsi, LFI a de bonnes raisons (d'un point de vue de stratégie de parti) de ne pas participer, mais a aussi de bonnes raisons (d'un point de vue de stratégie de victoire de la gauche) de participer. D'autant que dans un scrutin par approbation, un candidat LFI a autant de chance de l'emporter qu'un autre candidat, s'il est capable de rassembler.

Conclusion

En résumé, il est presque nécessaire de présenter un candidat unique de la gauche de rupture en 2027 pour espérer la victoire. Passer par une primaire de la gauche est une possibilité pour y arriver. Mais s'il y a une primaire, il ne faut pas utiliser le mode de scrutin à deux tours de l'élection présidentielle, qui causera de la division et de la frustration chez les électeurs. Une bonne alternative est le vote par approbation. Enfin, cette primaire doit se baser sur un accord programmatique et politique préalable à l'élection.

Théo Delemazure (Merci à Matthieu Hervouin et Ariane Ravier pour la relecture)